De l'accompagnement pédagogique
En août 2008, sortait un appel d’offre qui demandait aux différents centres de conseils en formation de faire des propositions afin d’accompagner des formateurs adultes des CFA. Généralement, les dirigeants des centres de formation aux Antilles qui se posent des questions sur l’apprentissage vont faire le constat que les formateurs occasionnels ou permanents sont souvent des experts, mais qu’ils n’ont pas toujours les compétences pédagogiques nécessaires pour transmettre leur expertise.
Nous avons été très surpris que des professionnels du secteur fassent des propositions qui ne prenaient pas en compte certains principes pédagogiques. Ainsi, un centre était devant la problématique suivante : des jeunes sans qualification ayant rencontré des difficultés dans le système scolaire ont abandonné leurs études. Ils ont été placés dans des programmes d’apprentissage et de remise à niveau, mais ont encore abandonné le programme : Que faire avec ces jeunes ? Ce centre a donc proposé de répondre à la situation de la façon suivante : « si ces jeunes n’ont pas le ‘niveau’, nous allons leur dispenser une formation de 28 heures de cours magistraux par semaine en centre de formation afin qu’ils acquièrent ces connaissances de base sur tel et tel sujet ». Un peu surpris de la réponse de ce professionnel, nous avons proposé une approche qui prend en compte les travaux de Houssaye sur ce qu’on appel le triangle pédagogique, mais il apparait clairement, encore aujourd’hui, que dans les pratiques d’apprentissage, les centres de formation considèrent l’apprentissage comme la communication d’une information détenue par un expert à une personne novice qui se doit d’engranger cette connaissance qui lui est dispensée.
Il est donc impératif de bien préciser ce qu’est l’accompagnement, et ce qu’il n’est pas. Il ne s’agit pas simplement de rechercher des méthodes et des techniques permettant au pédagogue de faciliter l’apprentissage et la mémorisation. Un simple apport méthodologique sur la pédagogie des adultes, l’animation de sessions de formation, de découvertes de nouveaux outils est certes intéressant mais insuffisant pour répondre à des questions d’identité sociale et de construction de soi, particulièrement dans notre société multiculturelle.
Dans ce qu’on appelle le triangle pédagogique, c’est l’élément du savoir qui est l’intermédiaire entre l’Apprenant et le Formateur. Ce schéma permet de transcender la problématique qui consisterait à opposer de façon bipartisane le formateur « omniscient » et l’apprenant « ignare ». Dans un bipartisme, vient se greffer, en plus de cette problématique, celui de la représentation symbolique culturelle dominant-dominé [1].
Complexité de la formation aux Antilles
L’espace « microsocial » de la formation est donc beaucoup plus complexe qu’il n’apparait. En effet, il met en action deux forces, deux vecteurs : celui de l’apprenant et celui du formateur qui renferment en eux autant de complexité due à l’identité et l’expérience de chacun. Fixer son attention sur l’objet du savoir, plutôt que sur l’une ou l’autre des parties permet donc une action modératrice, régulatrice. Ce choix neutralise le désir qu’aurait chacun de se situer dans une relation de domination ou de défiance à l’égard d’autrui. Cependant, nous nous devons de préciser ici que ce schème, cette posture comprendrait un risque : celui de diviniser la connaissance et de la rendre impersonnelle si elle n’est pas elle-même modulée par un correcteur éthique en retour. Un regard qui permet à chacune des parties d’assimiler tout nouvel élément dans le rapport qu’il a au savoir, mais aussi au regard de l’analyse de l’autre. Chacun est donc ici valorisé, tant l’apprenant que le formateur. Ce mouvement constant de réinterprétation permet donc d’établir de nouvelles représentations et une meilleure compréhension de l’autre dans son espace et contexte propre. C’est à cet égard que Jacques Coursil parle de « Travail en cours ». Le souci de soi permet à l’acteur social et à tout apprenant de s’interroger sur les vertus de l’autonomie du savoir. Selon nous, il est important qu’une formation puisse s’appuyer sur une pédagogie active basée sur le principe que l’on retient mieux ce que l’on apprend en joignant le geste à la parole et surtout en construisant soi-même son propre savoir. Ainsi, les activités peuvent être perçues comme un moyen de résoudre un problème. Les solutions construites par l’apprenant lui permettent donc d’améliorer sa propre compréhension et d’augmenter ses possibilités d’action dans son environnement.
Complexité du rapport apprenant/formateur.
Comme l’indique J. Dubois dans son dictionnaire, si le bilinguisme concerne l’utilisation de langues ayant le même statut, la diglossie, quant à elle, s’applique à présenter une situation dans laquelle une des deux langues ont un statut différent. La question s’est posée dans un contexte religieux avec la transmission du texte biblique hébraïque en Grec par la traduction des Septante. Sur un autre registre, très récemment l’écrivain franco-mauricien Jean-Marie Gustave Le Clézio ne cache pas avoir été influencé par ses origines familiales mêlées, mais aussi par ses voyages et son goût marqué pour les cultures amérindiennes. Lors de la remise du Prix Nobel de Littérature, en 2008, il va appuyer son discours sur la difficulté qu’un antillais va rencontrer à transmettre et traduire sa pensée créole en langue française. Si pour le juif du IIIème siècle, l’hébreu appartient à un groupe de langue qui utilise un système métaphorique, il pouvait s’inquiéter à voir traduire de façon littérale un texte fort en images, en une langue qui utilise un système conceptuel dans lequel un mot représente un concept, alors que dans le premier système, à un mot, s’attache une idée ou une image. Ce conflit linguistique est aussi un conflit socioculturel et sociopolitique, comme le souligne Jean Bernabé.
« Manger du mil ne fait pas de toi un africain ».
En Amérique du nord on parle depuis les années 70 de « black on the outside, white on the inside ». Les acteurs de la formation s’accordent pour dire qu’apprendre un métier revient à acquérir une base de connaissances. Une différence est parfois faite entre ce qu’on appelle la professionnalité et le professionnalisme qui prendra en compte la présence d’une identité professionnelle. Cette identité ne peut s’acquérir que dans la représentation issue soit de l’expérience de terrain, soit d’une modification et adaptation de connaissances initiales (acculturation – inculturation). Nous proposons de considérer le lieu, l’espace d’apprentissage comme un « a-topos » idéal, qui se heurte, dans la réalité, à bien des difficultés :
Conclusion : Vers une pédagogie Freinet de l’adulte ?
Il serait intéressant de reprendre les « invariants » de Célestin Freinet afin de l’adapter à l’adulte, avec les modifications que cela Des questions peuvent subsister lors de l’analyse des choix de l’apprenant. Son projet et son orientation sont-ils choisis ou subis ? Quelle est donc sa motivation? Comment vit-il sa construction identitaire ? Son identité est-elle positivée ou non ? En marge de ces questions, il semble important d’utiliser un espace pédagogique tripolaire, afin de favoriser l’échange des parties. Cette conception tripolaire est aussi utilisable dans les prestations d’accompagnement. Ainsi, comme c’est au travers de la prestation que l’échange se fait, il permet de désamorcer des situations au sein desquelles l’accompagnant se doit de prendre en compte la situation sociolinguistique de l’apprenant, sans pour autant s’excuser de ce qu’il est, et pour l’apprenant, d’être accompagné dans une démarche authentique dans laquelle il n’a pas a s’excuser des circonstances qui l’on poussé dans ce programme d’accompagnement, ou d’apprentissage. Dans ce sens, cet espace d’apprentissage peu devenir un véritablement lieu d’enrichissement réciproque pour chacune des parties.
[1] Brigitte ALBERO, l'autoformation en contexte institutionnel, du paradigme de l'instruction au paradigme de l'autonomie, Ed. L’Harmattan, Paris, 2000, 306 p.