Autonomie ou Théonomie ?
Certains se plaisent à penser que la Théonomie n'est qu'une forme élaborée de l'Hétéronomie visant à enfermer la véléité autonomiste d'un individu ou d'un peuple. Bien au contraire. Depuis le XVIe siècle, Luther, parlant du Serf Arbitre a su présenter que l'articulation entre la liberté et l'esclavage est activée par la Grâce et la miséricorde de Dieu qui lui donne tout son sens : L'homme est coupable et incapable de déterminer ce qui est bon pour lui. Tout système ou personne tiers voulant le déterminer est voué à l'échec. La loi divine, qu'en à elle n'a d'autre fonction que de démontrer que tout homme est incapable de s'autodéterminer. Plongé dans le gouffre de l'impossible, l'Homme n'a d'autre espoir que d'accepter (ou de refuser) cette Grâce Divine. Avec Dieu, ce n'est pas que le chemin soit impossible... C'est l'impossible qui est le chemin !
Afin d'aller un peu plus loin, je vous invite à (re)découvrire ce merveilleux article de Pierre Courthial, de la Faculté Jean Calvin (ancienne FLTR) d'Aix-en-Provence.
La Théonomie Face à l'Autonomie Humaniste
L'Humanisme Défait Par la Loi de Dieu
Par Pierre Courthial (*)
Il est à noter que le mot latin Lex (Loi) a souvent désigné, de façon à la fois plus précise et plus englobante, la religion [1]. C'est ainsi que S. Augustin, dans son De Vera Religione (XXIII,20) parle de la Christiana lex.
Durant l’Âge de la Foi, Jean de Salisbury (1110- 1180), cet Anglais qui mourut évêque de Chartres et a magnifiquement écrit : "Si le vrai Dieu est la vraie Sagesse, alors l'amour de Dieu est la vraie philosophie" (Philosophus amator Del est; est philosophe celui qui aime Dieu) [2], emploie à plusieurs reprises le mot Lex pour désigner le culte religieux ou la profession de la Foi, dans son Polycraticus. Raymond Lulle (1235-1315) [3], qui avait appris l'arabe et était allé, à plusieurs reprises, évangéliser les Sarrasins, compare la Lex Mahumetana (La Loi de Mahomet) et la Christiana Lex quand il veut comparer la Foi de l'Islam et la Foi chrétienne [4]. Roger Bacon (1220-1292) [5]- "La sagesse totale a été donnée par un seul Dieu, à un seul monde et pour une seule fin"; "Il n’y a qu'une seule parfaite sagesse qui est contenue dans les Saintes Écritures" - parle lui aussi de Lex Christianapour désigner la Foi chrétienne et de Lex Antichristi pour désigner les autres religions.
R. J. Rushdoony, l'un des initiateurs de la théonomie réformée contemporaine, s'inscrit donc dans une ancienne et solide tradition lorsqu'il dit à son tour :
"En toute culture, le Droit, la Loi, est d'origine religieuse... La source du Droit est le dieu de toute société. Si la raison humaine est la source du Droit, c'est que la raison humaine est le dieu de cette société-là. Si c'est une oligarchie, ou une Cour suprême, ou un Sénat, ou un chef d’État qui est à la source du Droit, cette source est alors le dieu du système... L'humanisme moderne, en plaçant la source du Droit dans le peuple ou dans l’État, désigne le dieu de son système... Dans la culture occidentale, la source du Droit a été transférée de Dieu au peuple ou à l'État, alors que le pouvoir historique et la vitalité de l'Occident avaient été longtemps situés dans la Foi et le Droit bibliques" [6].
Toute Foi, y compris celle des (prétendus) athées (= sans Dieu !), et, en conséquence, toute Loi, toute Morale, tout Droit non-bibliques, sont en rivalité, sinon en opposition déclarée, avec la Foi, la Loi, la Morale et le Droit révélés en l’Écriture Sainte (la Lex) de Dieu. L'homme a toujours la responsabilité de choisir entre la théonomie et son désir d'autonomie. En réalité, seul le vrai Dieu est autonome (= Loi à soi-même et pour ses créatures). Calvin disait en une phrase lapidaire : Deus legibus solutus est quia ipse sibi et omnibus Lex est (Dieu n'est pas soumis aux lois parce qu'Il est lui-même Loi pour lui-même et pour tout et tous) [7].
La question est encore et toujours : quelle est la Norme ? Où se situe l'Autorité ?
Et la réponse est encore et toujours : la Norme, la Lex, est la Loi alliancielle qu'est la Sainte Écriture du Christ ; elle est au cœur de notre religion (= de notre relation à Dieu) et de notre service cultuel et culturel qu'elle identifie, définit et ordonne. Pour notre salut et notre joie. L'Autorité est celle du Dieu trinitaire qui, une fois pour toutes, nous a donné sa parole d'Alliance.
Voilà la théonomie !
L'humanisme, lui, ayant foi en l'Homme, ou en sa Raison, ou en tout autre dieu qu'il choisira (Évolution, Démocratie, État Providence, etc.) croit pouvoir définir à son gré Droit, Loi et Morale; avec toutes leurs variations possibles, successivement ou pluralistiquement. Et, pour être dans le mouvement, certains chrétiens, contaminés par l'humanisme, croient pouvoir faire appel, eux, à la Révélation naturelle.
- Aux humanistes, il faut rappeler, avec Lecerf, que : "Le péché siège au centre même de la conscience intellectuelle de l'homme. Si la raison était normale ("elle ne l'est plus depuis la chute", P.C.), elle consentirait à demeurer une raison raisonnée (normée par Dieu, P.C.). Nous ne la verrions plus aspirer à devenir raison ratiocinante ("ergoteuse, abusive", P.C.).
La raison pratique, qui se proclame autonome, pèche, car il y a un seul Législateur : Dieu; et ce Législateur, elle le méconnaît pour s'installer à sa place.
La raison théorique pèche aussi, car elle méconnaît son rôle subordonné d'organe, d'instrument conditionné par le Vrai objectif, pour s'ériger en norme suprême et en source fallacieuse du savoir.
Dans l'ordre de la connaissance, comme dans l'ordre de la toi morale, l'homme est partout substitué à Dieu. Il (en) résulte que le péché (provoque) un conflit entre la raison suprême de qui tout dépend et la raison subordonnée qui voudrait s'affranchir de sa dépendance" [8].
- Aux chrétiens contaminés par l'humanisme, il faut rappeler que, s'il est vrai qu'il y a bel et bien une Révélation naturelle de Dieu dont les hommes ont l'évidence sous les yeux,
"ce que l'on peut connaître de Dieu est manifeste pour les hommes : Dieu le leur a manifesté. En effet, depuis la création du monde, ses perfections invisibles : éternelle puissance et divinité, sont visibles dans ses œuvres pour l'intelligence" (Romains 1:19-20),
ces mêmes hommes
"se sont fourvoyés dans leurs raisonnements et leurs cœurs insensés se sont enténébrés ils ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge... et, comme ils n'ont pas eu souci de garder la connaissance de Dieu, Dieu les a livrés à leurs intelligences sans jugement : ainsi font-ils ce qu'ils ne devraient pas et sont-ils remplis de toutes sortes d'injustice, de perversité... ennemis de Dieu" (Romains 1:21,25,28,29).
Pour que la Révélation naturelle reprenne ses formes, ses couleurs et son sens, il faut que les fidèles "chaussent les lunettes de l'Écriture" (Calvin) afin que le regard de leur cœur, enfin corrigé, clarifié, restauré, retrouve l'évidence, là, sous leurs yeux, que leur intelligence "fourvoyée" ne discernait pas. Alors, et alors seulement, la Révélation naturelle, qui a toujours été là, leur apparaît dans sa douce, belle et forte lumière.
Rushdoony a fort bien discerné que : "la raison pour laquelle certains chrétiens choisissent de chercher un fondement ("de la morale et du droit", P.C.) en l'homme, c'est qu'ils aspirent à trouver un terrain commun à tous les hommes et à toute la réalité hors de Dieu. Ils veulent échapper à ce qu'ils appellent un "système sectaire de pensée". Ils affirment la nécessité d'une philosophia perennis, d'une philosophie permanente qui serait commune à tous les hommes en tant qu'hommes, en dehors de toute considération théologique. Ces chrétiens pensent qu'ainsi ils peuvent établir les vérités de la religion chrétienne d'une manière rationnelle satisfaisante pour tous; et qu'en place d'une révélation exclusive et bornée pourra être établi un terrain commun d'entente [9].
A l'inverse, tout chrétien fidèle est appelé à "sanctifier en son cœur le Christ Seigneur, à être toujours prêt à la défense (en grec : apologia), avec douceur et respect, de l'espérance chrétienne devant quiconque lui en demande compte" (1 Pierre 3:15-16); "les armes que nous utilisons dans notre combat ne sont pas d'origine humaine ; leur puissance vient de Dieu, pour la destruction des forteresses ; nous détruisons les faux raisonnements et tout ce qui se dresse orgueilleusement contre la connaissance de Dieu, faisant captive toute pensée pour l'amener à obéir au Christ" (2 Corinthiens 10:4 et 5).
Voilà qui nous oblige, en conscience, à croître dans l'intelligence de la Foi, dans la connaissance de l'Écriture du Christ et du Christ de l'Écriture : nous, c'est-à-dire non seulement les pasteurs et docteurs (au reste trop souvent paresseux et infidèles), mais tous les membres de l'Église. L'évangélisation, en tant que vocation et tâche de tous, c'est d'abord et surtout, et ce n'est pas le plus facile, cette apologie-là, dans les contacts constants et ordinaires de l'existence avec les prochains, quels qu'ils soient. C'est, en tout cas, ce qu'ordonne, en priorité, la Parole de Dieu, et ce qui s'est vérifié, d'abord aux trois premiers siècles de notre ère sous plusieurs terribles persécutions, comme ensuite maintes fois dans l'histoire. D'où l’importance capitale, à côté de la prédication, d'une catéchèse catholique (= fidèle à l'Écriture-Parole de Dieu) continue, dans l'Eglise; ce qu'ont compris aussi bien les Docteurs de l'Eglise ancienne que ceux de la Réformation, avec leurs petits et grands Catéchismes.
Il est bien évident aussi qu'une manière chrétienne de vivre, en rupture chaque fois qu'il le faut avec celle du monde ambiant (Romains 12:1-2), doit accompagner et pratiquer l'apologie de chaque jour : aucun des aspects, aucune des parties, pas un pouce de terrain, de notre existence ne devant échapper à la Vérité révélée et à la seigneurie royale du Christ notre Dieu. "Mettez en œuvre (verbe grec katergazomai) votre salut, avec crainte et tremblement, car Dieu produit (verbe grec energeô) en vous le vouloir et le faire, selon son bienveillant dessein" (Philippiens 2:12-13).
La Foi que nous devons "défendre devant quiconque nous en demande compte" doit être défendue conjointement, inséparablement, par notre dire et notre faire; et ce dans tous les domaines de notre vie ici-bas, régis souverainement par le seul Sauveur-Seigneur, qu'il s'agisse de notre vie personnelle, intime, ou de nos vies conjugale, familiale, civique, professionnelle, ecclésiale,…
Référence: L'Humanisme Défait Par la Loi de Dieu, Pierre Courthial - Lausanne, édition L’Age d’Homme, 1996.
Notes:
* Pierre Courthial est doyen honoraire de la Faculté libre de théologie réformée d'Aix-en-Provence.
[1] "Lex (Law) as Another Word for Religion : A lesson from the Middle Ages", par Thomas Schirrmacher, Calvinism Today, vol. II, N°2, avril 1992, p.5.
[2] La philosophie au Moyen Age, par Etienne Gilson (Payot, 1947), pp.274-277, etc.
[4] Par exemple, Lettera a Maonietto II, 115 ; cf. note 12 ci-dessus.
[5] Gilson, op. cit., pp. 476-482, etc.
[6] Institutes of Biblical Law, p.4.
[7] Commentaire du Deutéronome (1563), Corpus Reformatorum 52, 49, 131.
[8] Introduction à la dogmatique reformée ("Je Sers", Paris, 1932) vol. 1, pp. 111 ss.
[9] Op. cit., p.684-685. Là, peut se trouver une explication de la dérive intellectuelle de Jacques Maritain (1882-1973) depuis son Antimoderne, de 1922(animé par le motif-de-base scolastique "nature = grâce") jusqu'au Paysan de laGaronne, de l966, en passant par Humanisme intégral, de 1936. Si j'avais apprécié, dans Antimoderne, lu en 1930, son : "les pentes de l'intelligencemoderne sont contre nous ; mais les pentes sont faites pour qu'on les remonte",j'ai déploré que J. Maritain se soit laissé gagner par l'humanisme... moderne !